jeudi 26 octobre 2017

Danyel Turcotte reçoit Noël Mitrani sur Radio VM - 91,3fm

Culture à la carte - édition cinéma
Émission diffusée le Jeudi 19 octobre 2017 - 17h45
Entrevue avec Noël Mitrani , scénariste & réalisateur du film "Après Coup"
Animé par : Danyel Turcotte
Radio VM - 91,3fm - radiovm.com - Montréal

DT : Comment vous est venu l’idée d’écrire ce scénario? 

NM : Ça peut paraître contradictoire mais j’avais envie de faire un film positif, à partir d’une idée assez dure : la mort d’un enfant et les conséquences psychologiques qui viennent avec. Mais comme je dis toujours, j’aime faire un film dramatique mais pas dramatisant. Je ne veux pas infliger quelque chose au spectateur, je veux lui apporter une proposition de bien-être. Avec ce film j’avais envie de faire du bien aux gens. 

DT : Ça fonctionne extrêmement bien. Le personnage principal joué par Laurent Lucas a beaucoup de difficultés à accepter de se faire aider. Ce n’est pas sa fille qui est victime de l’accident mais l’amie de sa fille. Mais il s’implique autant que si c’était sa fille.

NM : Dans les deux cas il y a la souffrance vis-à-vis de la mort d’un enfant, mais je ne voulais pas traiter directement la mort de son propre enfant, parce que d’abord c’est quelque chose qui a souvent été fait, et puis je ne voulais pas que ce soit une souffrance immédiate de la perte de l’enfant parce que ça c’est un autre sujet. Là le sujet c’était le sentiment de culpabilité lié à ça. Le personnage joué par Laurent Lucas développe un syndrome de stress-post-traumatique, il ressent une profonde culpabilité parce que c’est lui qui a dit à la petite fille de rentrer chez elle à un moment précis et que c’est à ce moment que s’est produit l’accident. Il se dit : «Si je ne lui avais pas dit de partir à ce moment-là, elle ne serait pas morte. » À partir de là, il développe un énorme traumatisme psychologique, là est le thème du film. 

DT : Cette thérapie, existe-t-elle vraiment? 

NM : Oui elle existe depuis une trentaine d’années, elle a été découverte aux États-Unis. On s’est rendu compte que le traumatisme correspond à une image dans notre cerveau. On pense que le traumatisme est quelque chose d’abstrait qui se promène dans le cerveau et qu’on n’est pas capable de l’identifier, mais en fait on s’aperçoit que c’est une image. Et cette image fera moins souffrir selon qu’elle sera placée à un endroit ou un autre du cerveau. Toute la thérapie EMDR consiste à faire se déplacer cette image traumatisante d’une place du cerveau à une autre. Si cette image est à la place qui lui correspond, on souffrira moins, il s’agit d’une grande découverte. L’EMDR permet de faire de façon éveillée ce que le sommeil fait en temps normal. Les gens le savent peu mais le but du sommeil est de classer les informations de la journée, la fatigue physique se répare vite, mais c’est le travail de classement qui est long, c’est pourquoi il nous faut des nuits complètes. Mais quand un traumatisme est trop fort, on a recours à cette thérapie, on crée une impulsion électrique en bougeant les yeux de façon latérale. Et ça marche. De nombreuses victimes d’attentats, notamment celles de Paris en 2015, sont passées par l’EMDR pour soigner leurs problèmes. Ce n’est pas magique, c’est un soutien et ça soulage. 

DT : Vous avez dirigé votre fille Natacha Mitrani dans le film. On voit fort bien qu’elle est dans un monde de cinéma dans sa vraie vie, parce qu’elle est vraiment excellente, la caméra pour elle c’est comme si c’était une chaise, elle ne s’en occupe pas! Comment c’est de diriger sa fille?

NM : C’est probablement une des expériences les plus fortes que j’ai pu connaître dans ma vie. Chaque jour je suis heureux d’avoir fait ça avec elle. J’ai une très grande complicité avec ma fille. On a une relation de confiance qui est très forte. Natacha s’est présentée au tournage sans aucun stress, elle voulait bien faire mais elle n’a pas compromis ses capacités par du stress. Elle n’a pas joué en fait, elle a fait les scènes. Je ne l’ai pas du tout fait répéter avant. Je ne voulais rien endommager avant le tournage. Elle a appris son texte par cœur avec sa maman, sans chercher à le jouer, juste neutre. Et au tournage elle a été sublime, l’équipe était émerveillée par ce qu’elle donnait. 

DT : Quelle âge elle avait au moment du tournage? 

8 ans. 

DT : Mohsen El Gharbi, est-ce que c’est un vrai psychologue ou un comédien?

NM : Merci, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire et lui faire! C’est un acteur. 

DT : Il est extraordinaire! 

NM : Oui. Il a trouvé le ton juste. Il est empathique. On comprend que d’être entre ses mains on va s’améliorer. 

DT : Vous avez eu aussi l’occasion de travailler avec Pascale Bussières, ce n’est pas un grand rôle mais c’est Pascale Bussières! 

NM : Pour moi il n’y a pas de grands et de petits rôles au cinéma. À partir du moment où une personne apparaît dans un film dramatique, chaque maillon est essentiel pour faire monter la dramaturgie. Pascale est venue sur une scène clé du film, qui se situe vers la fin, et elle a été remarquable, elle a complètement intégré son personnage en très peu de temps. Elle joue une scène extrêmement émouvante avec Laurent Lucas. J’étais heureux de pouvoir travailler avec Pascale Bussières. 

DT : Pouvez-vous nous donner un petit aperçu de ce que ça a été de faire ce film que j’adore et qui j’espère va être distribué?  Une idée de tout le travail que ça été pour vous, en plus vous faites vos films seul. 

NM : Seul, non pas exactement, je l’ai produit avec mon ami directeur photo Bruno Philip, qui a pris une part essentielle dans la production du film, et qui bien sûr a signé l’image qui est magnifique. Je produis mes films parce que je n’arrive pas toujours à me faire financer. Je fais un cinéma très personnel, un peu comme s’il fallait voir le film fini pour comprendre ce que je cherchais à faire. Même si après quatre long-métrages, je pense que maintenant les gens commencent à comprendre ma démarche, mais bon… Ce qui m’intéresse c’est que l’expérience de tournage se passe vite.  Par exemple sur mon film L’Affaire Kate Logan j’avais eu quelques millions, il y avait une grosse équipe et il nous fallait trois heures pour mettre le plateau en place entre chaque scène, c’était long, je trouvais qu’on perdait le fil. Alors que sur Après coup, on tournait une scène toutes les 45 minutes parce qu’on était une équipe réduite. Tourner vite, ça ne veut pas dire bâcler le travail, ça veut dire qu’on peut tourner vite parce qu’on a peu de monde à gérer. 

DT : Quand les comédiens tournent vite ils donnent ce qu’ils ont à donner, on le voit dans votre film, les personnages sont tellement à leur place, Laurent Lucas est fantastique! 

NM : Oui, Laurent donne une prestation au niveau des émotions qui est unique dans sa carrière, il est sorti vidé du tournage, lessivé, il me disait qu’il avait des nuits agitées.  Ce film l’a perturbé, travaillé, ému. Il en est sorti différent, ça m’a fait plaisir parce que c’était le but de ce projet. Laurence Dauphinais aussi est merveilleuse dans le film. Ça a été un bonheur de tourner avec elle, je voudrais lui rendre hommage parce que je pense qu’elle est le pivot du film, sans elle le film n’aurait pas sa colonne vertébrale. 

DT : C’est un film à voir. Il a été présenté dans le cadre du FNC, que sera la suite maintenant?

NM : Il faut qu’on trouve un distributeur. Mais le problème c’est que les distributeurs attendent derrière les subventions du gouvernement pour s’impliquer. Même s’ils aiment le film, sans subventions ils n’auront pas les moyens économiques pour sortir le film. C’est un peu triste mais c’est comme ça. Mais je pense qu’on peut espérer un soutien des institutions parce qua le film a un impact sur le public et sur la critique. 

DT : Je pense de toute façon qu’on va pouvoir le voir à la Cinémathèque très bientôt. 

NM : Oui et on le verra probablement aussi aux Rendez-Vous du Cinéma Québécois au début de l’année. Et pour ceux qui sont en Angleterre, le film est sélectionné dans un festival à Eastbourne en novembre. 

DT : Je veux qu’on en parle parce que ça mérite une bonne distribution, c’est un excellent film. Merci Noël Mitrani, on se revoit très bientôt. 

NM : Merci Danyel.

Vous pouvez aussi écouter cet entretien sur Youtube:
https://www.youtube.com/watch?v=d76javcvSV8

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