samedi 9 décembre 2017

Portrait Noël Mitrani

Noël Mitrani par le Studio Harcourt (2007)

samedi 18 novembre 2017

Laurent Lucas : "Je n'avais jamais joué un personnage qui subit un bouleversement continu."

Cet entretien a été réalisé en février 2017, quelques mois après le tournage. Laurent Lucas, qui vient de visionner le film dans sa version montée, répond aux questions du réalisateur Noël Mitrani et du journaliste Fouad Sassi. 

 

Laurent Lucas : "Il a fallu que je gère le morcellement des émotions."

NM : Après coup est notre quatrième film ensemble. Tu joues un patient qui vit une expérience psychothérapeutique pour tenter de soigner un état de stress post-traumatique. C’est un rôle extrêmement émotionnel.

C’est le film dans lequel la partie émotionnelle a été la plus forte dans tout ce que j’ai fait jusqu’à présent. Sur ce film, il a fallu que je gère le morcellement des émotions, sans rien manquer.  Je n'avais jamais joué un personnage qui subit un bouleversement continu, l'enjeu était de ne jamais relâcher à ce niveau-là. À partir du moment où le drame survient, mon personnage est totalement bouleversé à chaque instant. Ce qui est beau c’est que j’ai ressenti profondément toutes les phases du personnage. C’est répertorié, on rentre dans un schéma : le moment d’abattement, le moment de déprime, le moment d’euphorie parce que ça va mieux, le moment d’espoir, le moment de courage. J’ai eu l’impression de vivre toutes ces étapes physiquement. On décrit le parcours d’un patient. Même dans les moments où c’est vécu intérieurement de ma part, on sent ce parcours à travers ma femme qui m’accompagne.

NM : Est-ce que tu pensais que le tournage serait aussi intense que le scénario le laissait entrevoir?

Oui parce que quand j’ai travaillé le texte pendant l’été, je sentais bien ce que ça allait demander. En plus ma mère venait de mourir depuis peu de temps, et je n’ai pas hésité à me servir émotionnellement de sa mort pour travailler. Après au tournage, au contraire j’ai essayé de ne pas y penser, d’être sur les enjeux du personnage, mais je les avais tellement déclenchés grâce à l’état émotionnel que j’avais avec la mort de ma mère que j’ai rejoint rapidement le personnage.

NM : Tes émotions étaient à fleur de peau, je ne t’avais jamais vu comme ça.

Je ne me le disais pas, mais pour jouer ce personnage, il fallait que je garde ce niveau, que je me maintienne dans cette zone. Je ne pouvais pas décrocher, sortir de ça en allant vers quelque chose de confortable émotionnellement quand la journée de tournage était terminée. Sinon, j’aurais perdu mes sensations.

NM : Tu m’avais dit que ça t’avait vidé comme jamais, que tes nuits étaient agitées.

Oui ça travaillait dans mon sommeil, je me réveillais en pleine nuit avec des scènes du film et du tournage, c’était trop chargé dans la journée pour que la nuit soit paisible. Les gros moments émotionnels nous vident. Comme certaines engueulades avec nos proches, ça nous remue, ça nous bouleverse. Sauf que là ce n’est pas un moment ponctuel dans une journée, on doit refaire six/sept fois la même chose tous les jours, pendant tout le tournage.

FS : Donc ce n’est pas un cliché l’acteur qui n’arrive pas à sortir du rôle en dehors du tournage?

Quand le rôle est demandant, tu as un réflexe en tant que comédien de ne pas quitter ça. Plusieurs rôles m’ont mis dans cet état. On entend parler d’acteurs un peu déséquilibrés dans la vie, ou bipolaires, pour eux ce n’est pas évident, ça les perturbe drôlement parce qu’ils doivent avoir du mal pendant un tournage ou après à revenir à la normalité. Il y a même des problèmes d’identité qui se posent dans ces cas-là. Le jeu et les émotions qu’ils jouent viennent interférer avec ce qu’ils pensaient être.

FS : Ça ne te fait pas peur de vivre ça?

Non parce que je sais que c’est un processus, tu ne t’en rends pas compte sur le moment, c’est à la fin quand tu reviens à la vie normale que  tu prends conscience que tu étais comme dans un tunnel émotionnel. Maintenant j’ai l’expérience pour gérer ça, pendant notre tournage je voyais bien qu’il y avait quelque chose qui me conservait dans ce niveau d’émotion pour y retourner plus facilement le lendemain. En plus, pendant qu’on tournait Geneviève [sa conjointe] est allée chez ses parents avec Charlie [sa fille], donc j’étais tout seul, dans les bonnes conditions pour conserver cet état.

NM : Tu as fait un travail d’intériorité tellement fort que ça nous permet de supporter de longues scènes de thérapie sans jamais qu’on s’ennuie en les regardant.

Il y avait deux choses : à la fois j’étais dedans et il y avait Mohsen [El Gharbi] qui, dans son appréhension à devoir jouer autant de texte, était vraiment sur moi et je lui donnais tout ce qu’un patient peut donner à un thérapeute. Mohsen donnait l’impression de scruter chacune de mes réactions. Entre lui et moi, on avait ce qu’il fallait des deux côtés. Et puis le montage a emmené le film encore plus loin. C’était écrit plutôt film d’auteur dans la structure, on commençait par les scènes avec la famille et d’un coup : début de la thérapie EMDR. Là, tu as drôlement modifié par rapport à l’écriture, tu as commencé la thérapie beaucoup plus tôt, en déstructurant, c’est très réussi.

NM : D’habitude quand on fait un film on a envie que ça marche, mais avec celui-ci je me dis qu’il faut que les gens le voient comme quelque chose d’utile.

Geneviève a dit que ça pouvait faire du bien à beaucoup de personnes, c’est ça qu’elle a ressenti, en plus de pleurer du début à la fin. C’est un film bouleversant mais aussi il y a des gens qui pourraient être reconnaissants vis-à-vis de toi pour avoir raconter ça, du point de vue du malade, de l’accompagnateur, du soignant, de la famille. Il y a pleins de gens qui vivent des choses comme ça aujourd’hui, et avec le film il peut y avoir un rayonnement. Tu mets les gens dans une salle, c’est certain qu’ils ne peuvent pas ne pas être touchés par cette histoire. Laurence [Dauphinais] qui joue ma femme est drôlement attachante, et Natacha [Mitrani] est magnifique. Ce qui s'est passé avec Natacha sur ton film, c'est exceptionnel, je n'avais jamais vécu ça avec un enfant, ça sortait droit, juste, pas les petites intonations qu'on entend d'habitude avec les enfants. Elle intégrait parfaitement tout ce que Noël lui disait de faire.

jeudi 26 octobre 2017

Danyel Turcotte reçoit Noël Mitrani sur Radio VM - 91,3fm

Culture à la carte - édition cinéma
Émission diffusée le Jeudi 19 octobre 2017 - 17h45
Entrevue avec Noël Mitrani , scénariste & réalisateur du film "Après Coup"
Animé par : Danyel Turcotte
Radio VM - 91,3fm - radiovm.com - Montréal

DT : Comment vous est venu l’idée d’écrire ce scénario? 

NM : Ça peut paraître contradictoire mais j’avais envie de faire un film positif, à partir d’une idée assez dure : la mort d’un enfant et les conséquences psychologiques qui viennent avec. Mais comme je dis toujours, j’aime faire un film dramatique mais pas dramatisant. Je ne veux pas infliger quelque chose au spectateur, je veux lui apporter une proposition de bien-être. Avec ce film j’avais envie de faire du bien aux gens. 

DT : Ça fonctionne extrêmement bien. Le personnage principal joué par Laurent Lucas a beaucoup de difficultés à accepter de se faire aider. Ce n’est pas sa fille qui est victime de l’accident mais l’amie de sa fille. Mais il s’implique autant que si c’était sa fille.

NM : Dans les deux cas il y a la souffrance vis-à-vis de la mort d’un enfant, mais je ne voulais pas traiter directement la mort de son propre enfant, parce que d’abord c’est quelque chose qui a souvent été fait, et puis je ne voulais pas que ce soit une souffrance immédiate de la perte de l’enfant parce que ça c’est un autre sujet. Là le sujet c’était le sentiment de culpabilité lié à ça. Le personnage joué par Laurent Lucas développe un syndrome de stress-post-traumatique, il ressent une profonde culpabilité parce que c’est lui qui a dit à la petite fille de rentrer chez elle à un moment précis et que c’est à ce moment que s’est produit l’accident. Il se dit : «Si je ne lui avais pas dit de partir à ce moment-là, elle ne serait pas morte. » À partir de là, il développe un énorme traumatisme psychologique, là est le thème du film. 

DT : Cette thérapie, existe-t-elle vraiment? 

NM : Oui elle existe depuis une trentaine d’années, elle a été découverte aux États-Unis. On s’est rendu compte que le traumatisme correspond à une image dans notre cerveau. On pense que le traumatisme est quelque chose d’abstrait qui se promène dans le cerveau et qu’on n’est pas capable de l’identifier, mais en fait on s’aperçoit que c’est une image. Et cette image fera moins souffrir selon qu’elle sera placée à un endroit ou un autre du cerveau. Toute la thérapie EMDR consiste à faire se déplacer cette image traumatisante d’une place du cerveau à une autre. Si cette image est à la place qui lui correspond, on souffrira moins, il s’agit d’une grande découverte. L’EMDR permet de faire de façon éveillée ce que le sommeil fait en temps normal. Les gens le savent peu mais le but du sommeil est de classer les informations de la journée, la fatigue physique se répare vite, mais c’est le travail de classement qui est long, c’est pourquoi il nous faut des nuits complètes. Mais quand un traumatisme est trop fort, on a recours à cette thérapie, on crée une impulsion électrique en bougeant les yeux de façon latérale. Et ça marche. De nombreuses victimes d’attentats, notamment celles de Paris en 2015, sont passées par l’EMDR pour soigner leurs problèmes. Ce n’est pas magique, c’est un soutien et ça soulage. 

DT : Vous avez dirigé votre fille Natacha Mitrani dans le film. On voit fort bien qu’elle est dans un monde de cinéma dans sa vraie vie, parce qu’elle est vraiment excellente, la caméra pour elle c’est comme si c’était une chaise, elle ne s’en occupe pas! Comment c’est de diriger sa fille?

NM : C’est probablement une des expériences les plus fortes que j’ai pu connaître dans ma vie. Chaque jour je suis heureux d’avoir fait ça avec elle. J’ai une très grande complicité avec ma fille. On a une relation de confiance qui est très forte. Natacha s’est présentée au tournage sans aucun stress, elle voulait bien faire mais elle n’a pas compromis ses capacités par du stress. Elle n’a pas joué en fait, elle a fait les scènes. Je ne l’ai pas du tout fait répéter avant. Je ne voulais rien endommager avant le tournage. Elle a appris son texte par cœur avec sa maman, sans chercher à le jouer, juste neutre. Et au tournage elle a été sublime, l’équipe était émerveillée par ce qu’elle donnait. 

DT : Quelle âge elle avait au moment du tournage? 

8 ans. 

DT : Mohsen El Gharbi, est-ce que c’est un vrai psychologue ou un comédien?

NM : Merci, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire et lui faire! C’est un acteur. 

DT : Il est extraordinaire! 

NM : Oui. Il a trouvé le ton juste. Il est empathique. On comprend que d’être entre ses mains on va s’améliorer. 

DT : Vous avez eu aussi l’occasion de travailler avec Pascale Bussières, ce n’est pas un grand rôle mais c’est Pascale Bussières! 

NM : Pour moi il n’y a pas de grands et de petits rôles au cinéma. À partir du moment où une personne apparaît dans un film dramatique, chaque maillon est essentiel pour faire monter la dramaturgie. Pascale est venue sur une scène clé du film, qui se situe vers la fin, et elle a été remarquable, elle a complètement intégré son personnage en très peu de temps. Elle joue une scène extrêmement émouvante avec Laurent Lucas. J’étais heureux de pouvoir travailler avec Pascale Bussières. 

DT : Pouvez-vous nous donner un petit aperçu de ce que ça a été de faire ce film que j’adore et qui j’espère va être distribué?  Une idée de tout le travail que ça été pour vous, en plus vous faites vos films seul. 

NM : Seul, non pas exactement, je l’ai produit avec mon ami directeur photo Bruno Philip, qui a pris une part essentielle dans la production du film, et qui bien sûr a signé l’image qui est magnifique. Je produis mes films parce que je n’arrive pas toujours à me faire financer. Je fais un cinéma très personnel, un peu comme s’il fallait voir le film fini pour comprendre ce que je cherchais à faire. Même si après quatre long-métrages, je pense que maintenant les gens commencent à comprendre ma démarche, mais bon… Ce qui m’intéresse c’est que l’expérience de tournage se passe vite.  Par exemple sur mon film L’Affaire Kate Logan j’avais eu quelques millions, il y avait une grosse équipe et il nous fallait trois heures pour mettre le plateau en place entre chaque scène, c’était long, je trouvais qu’on perdait le fil. Alors que sur Après coup, on tournait une scène toutes les 45 minutes parce qu’on était une équipe réduite. Tourner vite, ça ne veut pas dire bâcler le travail, ça veut dire qu’on peut tourner vite parce qu’on a peu de monde à gérer. 

DT : Quand les comédiens tournent vite ils donnent ce qu’ils ont à donner, on le voit dans votre film, les personnages sont tellement à leur place, Laurent Lucas est fantastique! 

NM : Oui, Laurent donne une prestation au niveau des émotions qui est unique dans sa carrière, il est sorti vidé du tournage, lessivé, il me disait qu’il avait des nuits agitées.  Ce film l’a perturbé, travaillé, ému. Il en est sorti différent, ça m’a fait plaisir parce que c’était le but de ce projet. Laurence Dauphinais aussi est merveilleuse dans le film. Ça a été un bonheur de tourner avec elle, je voudrais lui rendre hommage parce que je pense qu’elle est le pivot du film, sans elle le film n’aurait pas sa colonne vertébrale. 

DT : C’est un film à voir. Il a été présenté dans le cadre du FNC, que sera la suite maintenant?

NM : Il faut qu’on trouve un distributeur. Mais le problème c’est que les distributeurs attendent derrière les subventions du gouvernement pour s’impliquer. Même s’ils aiment le film, sans subventions ils n’auront pas les moyens économiques pour sortir le film. C’est un peu triste mais c’est comme ça. Mais je pense qu’on peut espérer un soutien des institutions parce qua le film a un impact sur le public et sur la critique. 

DT : Je pense de toute façon qu’on va pouvoir le voir à la Cinémathèque très bientôt. 

NM : Oui et on le verra probablement aussi aux Rendez-Vous du Cinéma Québécois au début de l’année. Et pour ceux qui sont en Angleterre, le film est sélectionné dans un festival à Eastbourne en novembre. 

DT : Je veux qu’on en parle parce que ça mérite une bonne distribution, c’est un excellent film. Merci Noël Mitrani, on se revoit très bientôt. 

NM : Merci Danyel.

Vous pouvez aussi écouter cet entretien sur Youtube:
https://www.youtube.com/watch?v=d76javcvSV8

vendredi 8 septembre 2017

SUR LA TRACE D’IGOR RIZZI dans le dictionnaire des films de Jean Tulard

SUR LA TRACE D’IGOR RIZZI ٭٭
(Can., 2006) R., Sc. : Noël Mitrani ; Ph. : Christophe Debraize-Bois ; Pr. : Noël Mitrani, Pascal Maeder ; Int. Laurent Lucas (Jean-Marc Thomas), Pierre-Luc Brillant (Michel), Isabelle Blais (Mélanie), Emmanuel Bilodeau (Gilbert McCoy). Couleurs, 91min.

            Jean-Marc Thomas, un ancien footballeur, habite maintenant au Canada dans le souvenir de Mélanie, un amour perdu. Ruiné, il se laisse entraîner par son copain Michel dans de minables cambriolages  –  jusqu’au jour où on lui propose un contrat plus important : éliminer un certain Igor Rizzi. Le problème, c’est qu’il n’a jamais tué personne et qu’il ne sait même pas se servir d’une arme ! Il accepte néanmoins. C’est alors qu’il se retrouve avec un cadavre sur les bras (crime dont il est innoncent) et que la police (?) vient d’enquêter…

            Un film dans la tradition du thriller avec tueur à gages et cadavres à la clé, aux images sombres et presque charbonneuses malgré la neige et cet hiver canadien. Mais il s’agit bien d’un film noir, c’est surtout son humour distancié qui est noir. En de longues séquences, avec maints détails incongrus, le réalisateur propose un portrait original et inattendu d’un bras cassé de la criminalité. Laurent Lucas, le visage barré d’une épaisse moustache, très pince-sans-rire, est étonnant dans son interprétation « à froid ». Un film décalé et surprenant, plus drôle qu’inquiétant.
-Claude Bouniq-Mercier : C.B.M.

Jean Tulard, Le nouveau Guide des Films, TOME 4, Éditions Robert Laffont, 2010, p. 504.

dimanche 20 août 2017

Après Coup : Photos de tournage (Août 2016)

Bruno Philip à la caméra et Noël Mitrani

Pause lunch sur le tournage : Mohsen El Gharbi, Noël Mitrani et Laurent Lucas

Noël Mitrani et sa fille Natacha qui joue dans le film

Noël Mitrani, Bruno Philip DOP et Wissam E. Salem assistant caméra

mercredi 19 avril 2017

"Après coup", un film de Noël Mitrani

Laurent Lucas dans Après coup
Mon nouveau film est actuellement en post-production. Le montage est achevé. Le tournage a eu lieu en août et septembre 2016 à Montréal. Les acteurs principaux sont Laurent Lucas, Laurence Dauphinais, Mohsen El Gharbi, Pascale Bussières et ma fille Natacha Mitrani. Après coup raconte l'histoire d'un père de famille heureux qui subit un choc psychologique suite à un accident survenu dans son entourage, et qui pour se sortir d'un état de stress-post-traumatique traverse une expérience psycho-thérapeutique qui va le changer pour toujours.
Une famille aux prises avec un drame